Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/12/2018

Vider les poubelles des gilets jaunes (Onfray, décidément inspiré, en cette période)

La tentation est grande, dans les médias qui roulent pour le pouvoir maastrichtien et qui, de ce fait, cherchent à discréditer les gilets-jaunes, de vider consciencieusement toutes les poubelles afin d'y trouver matière à leurs opérations de basse police. Si d'aventure on trouvait sur l'ordinateur de l'un d'entre eux les traces d'un fichier pédopornographique, ce qui est bien sûr condamnable, nul doute que toute cette presse ferait ses choux gras d'une telle information et conclurait que tous les gilets-jaunes sont pédophiles ! Dans la foulée, ces plumes serviles concluraient à l'illégitimité de leurs demandes !

  C'est ce que j'appelle une joffrinade : un seul gilet-jaune pédophile et tous le deviendraient ; dès lors, le fait que les gilets-jaunes demandent de quoi vivre dignement se trouverait vite assimilé à une revendication de pédophile -une cause d'ailleurs longtemps défendue par Libération, Le Monde ou Le Nouvel Observateur [1]... C'est ainsi qu'on pense dans les journaux où l'on ne pense pas. Cette engeance a déjà trouvé dans les poubelles de cette Histoire en cours un raciste, tous les gilets-jaunes étaient donc racistes, un homophobe, ils étaient donc tous homophobes, un partisan d'un général à Matignon, ils étaient donc tous fascinés par la dictature, un qui voulait aller porter ses revendications à l’Élysée, ils étaient donc tous putschistes. Ceux qui sont prompts à dénoncer l'amalgame dans le camp d'en face sont des professionnels de ce procédé dans leur propre camp.

  Ainsi, les charognards ont sorti des tas d'ordures du net des propos complotistes ! La belle affaire ! Les gilets-jaunes complotistes ! On a déjà eu peu ou prou climato-sceptiques, injure majeure dans le néo-catéchisme du politiquement correct, parce qu'ils polluent au diesel, un carburant sale de gens sales, alors que BHL et les siens, Hulot compris, Macron, ses ministres et ses conseillers, polluent au kérosène, un carburant propre de gens propres, les voilà donc complotistes ! Pour quelles raisons ?

  L'attentat islamiste (la bonne presse évite scrupuleusement l'épithète...) de Strasbourg a en effet fourni une aubaine aux journaux d'information continue qui peuvent ainsi passer à autre chose. Fin des gilets-jaunes et des verbigérations de journalistes sur les ronds-points, fin des micros-trottoirs pour sélectionner les avis orientés dans le sens de la chaîne, fin des faux débats sur "pour ou contre les gilets-jaunes", désormais, gros plan sur les bougies, les fleurs et les peluches, les "Je suis Strasbourg" et les variations sur "Vous n'aurez pas ma haine" ! On court après le fugitif qui a commencé à remplir son casier judiciaire dès l'âge dix ans et n'a cessé d'y travailler depuis puisqu'il y a inscrit depuis pas moins de vingt-sept condamnations -et ce en dix-neuf années, soit une condamnation presque tous les neuf mois pendant presque vingt-ans- à quoi il faudrait retrancher le temps passé en prison, ce qui doit faire une tous les six mois... La presse de la bien-pensance a matraqué que le jeune homme était français, né en France, qu'il avait grandi en France et fait ses études en France. Que voulait-on dire par là ? Quel était le message destiné au neuneu devant son petit écran ? Il n'a pas commis son attentat au cri de " Vive la France !" que je sache, mais à celui d’"Allahu Akbar". Qu’il ait été français ne fait rien à cette affaire. En revanche, son cri de guerre aurait mérité le même zèle suggestif de la part de la journaliste. Or, comme prévu, ce souci de comprendre le sens de l'invocation au Dieu de l'Islam pour perpétrer ce massacre n'eut pas lieu... Sur une chaîne d'information continue, ce serait pourtant un sujet inépuisable et instructif. Dans sa dernière allocution, le président Emmanuel Macron n'a-t-il d'ailleurs pas appelé à ce qu’il y ait un grand débat sur le sujet ? Chiche... Commençons aujourd’hui. 

  Il y eut donc des gilets-jaunes pour dire que cet attentat tombait à pic pour les journalistes parce qu'ils pouvaient ainsi ne plus couvrir l'actualité des gilets-jaunes. Or, dans un monde médiatique, pas vu à la télé, pas de réalité. BHL l'a bien vu qui exhorte régulièrement sur son compte les chaînes d'info continue à en faire moins, voire à ne plus rien faire du tout... Lui plus qu'un autre, parce qu’il fut la créature du petit écran plus que d'une œuvre, sait que ce que la télé dit est et que ce que la télé ne dit pas n'est pas. L'attentat de Strasbourg permet en effet aux rédactions de braquer le projecteur ailleurs et les gilets-jaunes qui sont sans connivence avec la presse savent bien que les médias peuvent assécher leur réel en refusant d'en montrer les images. Mais l'argent qui fait la loi dans les chaînes ne peut économiser ce dossier chaud, car il met des téléspectateurs devant leur écran en nombre, ce qui rapporte une foultitude d'investissements publicitaires... Si BFM fait silence, une autre chaîne ne le fera pas pour des raisons de concurrence, elle verra dès lors ses parts de marché augmenter pendant que sa concurrente s'effondrera. Il vaut donc mieux pour elle rester sur le créneau et continuer la désinformation en prétextant informer : c'est politiquement, donc économiquement, plus rentable...

  Croire que l'attentat allait être instrumentalisé par le pouvoir était légitime puisque, dans la foulée, à la matinale du 13 décembre, sur France-Inter, le président de l'Assemblée nationale a clairement dit : "Il faut que le mouvement s'arrête." Macron a fait des propositions, l'économie souffre, le terrorisme menace : on fait un paquet de tout cela et Richard Ferrand siffle la fin de la récréation, il invite purement et simplement à la fin du mouvement des gilets-jaunes ! Tout aura vraiment été instrumentalisé par le pouvoir pour éteindre cet incendie social et, s'il y a de l'indécence, de l'obscénité, de l'impudeur, elle consiste à inviter à la fin du mouvement sous prétexte de danger terroriste. Car, si la concentration de personnes était véritablement en cause, alors il faudrait interdire l’ouverture des hypers et de supermarchés pendant tout ce mois de Noël qui est celui de la grande fête consumériste car, un carnage dans l'un de ces temples de la consommation ferait probablement plus de victimes que sur un rond-point du Cantal...

  On voit bien que la concentration de public n'est donc pas la véritable raison pour laquelle le pouvoir invite à la fin du mouvement. Tant que les hypermarchés ne seront pas fermés, l'invocation de cette raison sera nulle et non avenue. C'est un prétexte politique macronien, pas une raison sécuritaire destinée à protéger les français qui sont tous exposés au terrorisme islamiste depuis des années partout où ils se trouvent, ronds-points de gilets-jaunes compris.

  Ce qui se dit dans cette affaire, c'est que le pouvoir a bien compris que le petit peuple des gilets-jaunes n'est pas formé à la langue de bois des économistes et des politiciens, des journalistes et des intellectuels, il ne sort pas des grandes écoles où l'on apprend à mentir sans mentir tout en mentant avec force rhétorique et sophistique, à l'aide d'interminables exposés en trois points, avec des chevilles verbales, des trucs de logique, des ficelle expressives. Il ne parle pas pointu, comme à Saint-Germain-des-Prés, mais avec l'accent de sa province ; il ne pense pas pointu, comme dans la capitale, mais avec le bon sens des ruraux ; il ne formule pas pointu, comme sur les plateaux de télévision ou devant les micros parisiens, mais avec un style rude, une syntaxe parfois chancelante, un vocabulaire compté, une colère non contenue parfois également, une émotion non feinte, des phrases à la va-comme-je-te-pousse et c'est, pour ma part, ce qui me touche et m'émeut : c'est la forme rugueuse et râpeuse des provinces mise au service d'un fond juste, la justice sociale en faveur des dominés, contre la forme parfumée et policée de la capitale pour un fond idéologique au service des dominants.

  Quand un gilet-jaune dit, seul et excité comme une puce devant la webcam de son ordinateur parce qu’il sait que les journalistes le liront peut-être : "Un attenant à Strasbourg, comme par hasard !" on peut entendre deux choses. La première, malveillante : "Il dit que l'attentat a été commandité par l'Élysée, le salaud". On pourrait donner la liste de qui pense comme ça... La seconde, bienveillante : "Il dit que cet attentat va être instrumentalisé par l'Élysée". Et comment donner tort à ceux qui pensent ainsi puisque le pouvoir instrumentalise effectivement !

 Par ailleurs, s'il y a des complotistes, d'où viennent-ils ? Le complotisme est la maladie infantile de la réinformation : face à l'information officielle qui s'apparente si souvent à de la désinformation, un mouvement de balancier inverse fait chercher la vérité là où l'on sait qu'elle n'est pas, en dehors des médias officiels. Or, dans ce no man's land intellectuel on trouve le meilleur, de véritables informations, et le pire, des désinformations majeures, des théories farfelues, des idéologies dangereuses, criminelles, des opinions illégales (négationnisme, révisionnisme, antisémitisme...), des fausses nouvelles massivement diffusées par des États qui inondent la planète de contre-informations avec leurs hackers d'État -russes, chinois, turcs, américains, européens...- dont la journée consiste à faire circuler leurs virus idéologiques étatiques. Le complotisme est souvent le délire de qui a compris qu’on ne pouvait plus croire les médias dominants. Car le quidam sait qu'on y distribue à jet continu les éléments de langage de l'idéologie au pouvoir donc il cherche ailleurs le sens qu'on ne lui donne plus. Et, là où il cherche à comprendre, des vendeurs de mythes placent leurs marchandises frelatées : les complots.

  Mais dire qu'il existe une lutte des classes, des dominants et des dominés, un pouvoir secret et discret des décideurs à des niveaux nationaux et internationaux avec des médias sans micros ni caméras ni stylos, qu'il existe des diplomaties secrètes et des compromis politiques passés hors cadres démocratiques, qu'il existe une activité fiévreuse des services secrets avec leurs agents, des polices du renseignement et de l'infiltration avec leurs fonctionnaires, des cellules confidentielles pour lancer des rumeurs, c’est l'évidence. Il faut n'avoir jamais lu Machiavel ou lu Le Canard enchaîné pour croire et affirmer le contraire. 

  Que le petit peuple des gilets-jaunes ignore les détails de ces machines de pouvoir, c'est une chose ; mais qu'il en suppose l'existence par les effets induits qui sont ceux de la propagande d'État diffusée complaisamment par les médias d'État, il n'y a là rien que de très normal. La maladie complotiste a été inoculée par les médias menteurs. Nietzsche écrivait : "Ce qui me gêne ça n'est pas que tu m’aies menti, c'est que désormais je ne pourrais plus te croire". Un complotiste ne croit plus les menteurs qui prétendent l'informer et qui, sous prétexte de séparer l'info de l'intox, intoxiquent avec leurs infos : il a raison ; mais il se tourne vers n'importe qui pour trouver de véritables informations et du sens là même où se trouvent d'autres menteurs du même acabit : il a tort. 

  Réfléchir et penser par soi-même suffit : les faits parlent d'eux-mêmes et la meilleure hygiène suppose qu'on passe outre le commentaire du journaliste qui est l'ivraie afin de faire la part du bon grain des faits. Il y a eu un attentat islamiste à Strasbourg, ce sont les faits et ils sont terribles, condamnables, ils invitent à la décence pour les familles et leurs proches ; mais cette décence oblige à éviter la récupération, en premier lieu, celle du pouvoir qui estime que la sécurité nationale ayant été ébranlée par l'événement alsacien, les gilets-jaunes doivent de ce fait rentrer chez eux. Car la maladresse d'un gilet-jaune complotiste qui s’essaie à penser par lui-même dans la jungle cynique de l'information où l'idéologie fait la loi me parait plus compréhensible que le cynisme du pouvoir qui connait le poids des mots et en fait une arme de domination massive sur les dominés.

Michel Onfray

Les commentaires sont fermés.