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18/12/2018

Toujours Onfray, sur le vote des GilJaunes

Pour ou contre la transformation du mouvement des gilets jaunes en force politique présentant une liste aux Européennes?

Onfray Michel est farouchement contre et donne ses arguments.

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 Voilà que Francis Lalanne a décidé, pour les gilets-jaunes, qu'il leur faudrait entrer au Parlement européen et que, pour ce faire, ils devaient constituer une liste. Il a trouvé de l'argent, beaucoup d'argent, on parle de 800.000 euros, il a l'imprimeur des affiches et des tracts, il a le nom possible, les "Gilets jaunes citoyens", on se doute bien qu’il devrait aussi disposer de celui de la tête de liste... J’ai cru comprendre que c'était également le souhait d'Alexandre Jardin qui a commencé les dernières présidentielles en girondin revendiqué avant de les finir en Robespierre décapitant son association [1] -avant Berezina...

      Une liste "Gilets jaunes" aux prochaines échéances européennes: Emmanuel Macron en rêve! Car cette liste, si elle devait exister, ne prendrait aucune voix à celle de Macron, aucune. En revanche elle siphonnerait celles de Dupont-Aignan, Le Pen et Mélenchon: ce trio couturé c'est tout gagnant pour le Président puisque le danger pour lui, ce sont eux! De sorte qu'une liste "Gilets jaunes" serait un plébiscite pour Macron!

   Les gilets-jaunes ne veulent plus du libéralisme forcené qui les opprime dans leur vie quotidienne depuis des années. Debout la France, le Rassemblement national et La France insoumise, sinon l'extrême-gauche, sont sur les mêmes positions, en même temps que des millions de Français qui, comme moi, ne se reconnaissent dans aucun de ces trois partis.

   Or, Macron incarne le giscardisme, comme tous les Présidents depuis 1983, y compris ceux qui se sont dits de gauche. Qu'est-ce le giscardisme? Moins de France, plus d'Europe; moins de République, plus de libéralisme; moins de protection sociale, plus de marché; moins de droit du travail, plus de conventions négociées; moins de culture, plus de divertissements rentables; moins de grandeur, plus de people; moins d'écrivains, plus de banquiers; moins de gaullisme, plus de nanisme; moins de grande Histoire, plus de petites histoires; moins de Racine ou de Corneille, plus de Danièle Gilbert ou de Marlène Jobert- réactualisons: plus de frères Bogdanff et de Stéphane Bern.

   Une liste aux européennes: pour quoi faire? De la figuration à quoi obligerait même un bon score et rien que de la figuration dans l'opposition. Pendant ce temps, les giscardiens comme je viens de les définir gouverneront puisqu'ils seront majoritaires et d'autant plus majoritaires qu'avec leur liste "Gilets jaunes" auront affaibli ceux qui, sans en avoir l'air, jouent tout de même le jeu de l'Europe, mais à leur façon: bien au chaud dans l'opposition, confortablement rémunérés. 

   Ceux qui disent aux gilets-jaunes ce qu’ils devraient faire en estimant, pour Lalanne, qu’ils devraient souscrire aux jeux du vieux monde dont ils ne veulent plus ou, comme Jardin, qu'il leur faudrait remettre leurs doléances entre les mains des présidents de région encartés, qui sont tous gens du vieux monde que les gilets-jaunes veulent écarter, montrent qu’ils n'ont rien compris à ce que souhaitent les gilets-jaunes: ils ne veulent plus du vieux monde, de leurs gens, de leurs  porteurs d'eau, de leurs jeux, de leurs règles du jeu, de leurs habitudes, de leurs coups tordus, de leurs magouilles, de  leurs arrangements, de leurs combines, mais aussi de leurs intellectuels, de leurs penseurs, de leurs éditocrates, de leurs journalistes, de leurs acteurs, de leurs comédiens, de leurs chanteurs, de leurs comiques -de leurs philosophes... Ils veulent juste la démocratie, rien que la démocratie, toute la démocratie, autrement dit: la République, rien que la République, toute la République qui est chose publique et gestion de la chose publique par les citoyens. Laissez-les faire.  

Michel Onfray
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[2] Il avait en effet annoncé seul sa candidature en passant par-dessus la tête des membres de son association qui avaient appris la chose en ouvrant leur journal... En juillet 2016, il était au meeting de Macron à la Mutualité. 
 

17/12/2018

Onfray suite

Décidément très en verve et très pertinent sur le mouvement (génial) des gilets jaunes, Michel Onfray décrit comment l'Acte V  a été combattu par le pouvoir et par les medias serviles , clairement en mission, il faut bien le dire.

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PROPAGANDE, ACTE V

   Tout à sa propagande, le régime macronien en fait des tonnes: comme il fallait s'y attendre, il instrumentalise les morts de l'attentat de Strasbourg en prétendant que les gilets-jaunes, s'ils ont un peu de décence, bien sûr, ne pourront que suspendre leur mouvement. Il fait savoir par la presse qui relaie les éléments de langage du gouvernement en long, en large et en travers, que ces gilets-jaunes, qui sont déjà des casseurs, des anarchistes, des racistes, des homophobes, des crétins, des antisémites, des chemises-brunes, des vichystes, des pollueurs, des climato-sceptiques, en grattant juste un peu on pourrait même peut-être aussi trouver des nazis, seraient des moins que rien, qui danseraient sur les tombes des cadavres d'un attentat, s'ils descendaient dans les rues de la capitale afin de défendre leurs idées.

    Libération, qui est l'instrument de la propagande des idées de ce régime, a pondu la Une de la semaine: un petit bandeau pour un ixième attentat islamiste sur le territoire national, et le restant de la page en faveur des casseurs lycéens assis sous surveillance policière. Ici, en passant: un acte terroriste islamiste, peanuts selon la rédaction. Là: une ribambelle d'ados, qui sentent encore l'essence du cocktail Molotov, présentés comme des victime d'une police fascistoïde. L'information majeure du jour selon la même rédaction! Cette minoration du terrorisme et cette majoration d'une opération de maintien de l'ordre républicain révèle bien la ligne de ce journal qui donne le ton: à Paris, l'ennemi n'est pas Chérif Chekatt, un combattant clairement revendiqué par l'État islamique, non, mais la préfecture de Mantes-la-Jolie. Pauvre et sinistre Joffrin!

    Après avoir criminalisé les gilets-jaunes qui manifesteraient à Paris tout en décriminalisant le terroriste islamiste de Strasbourg, le pouvoir a donné ses chiffres de ce cinquième samedi qui, en fin de journée, arrivent en rafale sur l'écran de mon portable avec les alertes: moins de gens, manifestations moins suivies, moindre participation, chiffres en baisse, essoufflement des gilets-jaunes - c'est, en cascade, une variation sur ce même thème.

   Or les chiffres sont donnés par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et l'on sait combien les écarts entre les estimations de la police et celles des organiseurs sont depuis toujours caricaturales: jadis, 15 personnes selon Gérard Colomb, c'étaient 15.000 selon Mélenchon quand il s'agissait d'une manifestation de La France insoumise -même chose avec les autres organisateurs de manifestations, quelles qu'en aient été les couleurs... Mais quand il y a deux menteurs en lisse, les deux mensonges s'annulent: on savait que le chiffre se trouvait quelque part entre plus que 15 et moins que 15.000!

   Or, dans le cas des gilets-jaunes, il n'y a qu'un seul menteur puisque les gilets-jaunes n'ont pas un seul meneur qui pourrait en retour lui aussi mentir: dès lors, le ministre dispose d'un boulevard pour affirmer n'importe quoi et donner le chiffre de son choix -comme lors des soirées électorales dans les pays tenus par des dictateurs, il sait que ses amis journalistes lui donneront l'écho médiatique nécessaire, pourquoi dès lors se l’interdire?  Or, dire n’importe quoi, Castaner ne se s’en prive pas, à presque chacune de ses interventions d’ailleurs. De sorte que, sur ce boulevard, on le voit rouler à tombeau ouvert pour y klaxonner ses contre-vérités, y claironner les éléments de langage fournis par l'Élysée, y jouer de la trompe de chasse avec la propagande des communicants du château. Il y a peu, ce benêt donnait une estimation de la participation d'une journée de gilets-jaunes sur toute la France à l'unité près en ne s’apercevant même pas, c'est dire la finesse et l'intelligence du personnage , que pareil détail tue puisqu’il ne dispose d'aucun moyen de comptabiliser les participants de ce mouvement de contestation sociale sur la totalité du territoire français. Autant annoncer, faussement savant, le nombre de grains de sable de Paris-Plage à l'unité près! N'importe qui se tordrait de rire en présence d'une telle mystification -sauf les journalistes...

   Or, il se peut que les manifestants soient venus moins nombreux... à Paris. Si l'on veut faire pièce à la mine réjouie du pouvoir qui croit que la mobilisation faiblit et que le mouvement pourrit, on peut essayer de penser cet événement qu'est la foule amoindrie.

   D'abord, il y a ceux qui en ont assez, parmi les gilet-jaunes, d'être traités de tous les noms -rappelons-les: casseurs, anarchistes, racistes, homophobes, crétins, antisémites, chemises-brunes, vichystes, pollueurs, climato sceptiques... Il faut avoir le cuir dur pour supporter ces insultes déversées en permanence sur les médias et l'on ne peut mésestimer que d'aucuns, dans leurs discussions avec des amis, des copains, des camarades, des collègues, des voisins, n'en peuvent plus de passer pour ce qu'ils ne sont pas alors qu'ils demandent juste que l'État maastrichtien, puisqu’il n'y a plus d'État français, cesse de les étrangler. Je le rappelle: ces fascistes, ces vichystes, ces racistes, etc, demandent juste de quoi offrir des jouets à leurs enfants ou à leurs petits enfants à Noël. Passer pour un casseur ou un antisémite, pour un raciste ou un homophobe peut peser trop lourd, à force, chez tel ou tel qui peut décider de poser sa valise...

   Par décence, et Orwell n'a cessé de rappeler qu’il existe un sens de "la décence commune " chez les gens simples, certains n'ont peut-être pas souhaité non plus passer pour des charognards en se déplaçant à Paris alors que le pouvoir avait culpabilisé les manifestants en annonçant que, manifester malgré les morts de l'attentat de Strasbourg, ce serait se comporter comme un chien.

   En dehors de la haine, du mépris, de la culpabilité, de la décence, il peut y avoir également de la fatigue: à quoi bon, se disent certains qui comprennent très bien que le gouvernement joue le pourrissement à quelques encablures de Noël? Macron va vers un Noël au champagne (sorti des caves de l'Élysée et payé par le contribuable...) pendant que nombre de gilets-jaunes vont vers un Noël au mousseux (acheté au Lidl d'à-côté et payé avec les économies faites explicitement pour préparer cette fête familiale)...

   Et puis, il faut également compter avec des gilets-jaunes abusés, trompés, embobinés, enfumés. Car, dans son allocution télévisée, Macron a annoncé un certain nombre de propositions -dont une hausse du SMIC de 100 euros. C'est spectaculaire, même si nombre d'économistes [1] ont depuis démontré qu'il s'agissait d'un enfumage puisque le jeu de bonneteau ne permet pas à proprement parler d'une hausse du SMIC! Mais une partie des gilets-jaunes a pu se contenter de ces miettes et baisser les bras pour le reste en estimant qu’ils n'obtiendraient ni la démission de Macron, ni de nouvelles institutions, ni une dissolution de l'Assemblée nationale, ni quoique ce soit de spectaculaire. Le président de la République savait qu'avec ce menu fretin il pêcherait tout de même quelques poissons. Quelques-uns ont été hameçonnés. Pour qui a faim, un quignon de pain rassis suffit à sa peine: à quoi bon se battre pour réclamer l'autogestion de la boulangerie?

   Enfin, et il me semble que c'est la raison majeure: il y a le coût que représente pour des gens pauvres ou modestes un déplacement à Paris! On peut en effet se faire insulter et mépriser, culpabiliser et criminaliser sans courber l'échine, les pauvres sont gens durs à la douleur et ils ne sont pas du genre à geindre, se plaindre, chouiner -ou à demander une consultation sur un divan...

   Symboliquement, ce fut pour les gilets-jaunes une performance de venir à Paris -d'y "monter" comme il est dit parfois avec un peu de la déférence et de la crainte qu'il y a à se diriger vers les marches du château où loge son patron. Les mêmes ajoutent qu'on "descend en province". Cette façon de parler suppose qu'il existerait une ascension vers le ciel parisien qui se doublerait d'une descente vers la campagne. On monte au ciel de Paris et on descend aux enfers des régions...

   Car, parmi ces journalistes qui gagnent [2] entre quatre ou plus de quarante fois le SMIC -les noms sont à lire en note...- qui peut avoir présent à l'esprit ce que signifie une journée de manifestation à Paris? En voiture, en train ou en bus (pas en avion, ça c'est le moyen de transport de ceux qui crachent sur les gilets jaunes traités de pollueurs...), il faut payer le voyage; on peut certes emporter un casse-croûte, mais il en faut au moins deux quand on fait l'aller et retour dans la journée car il est impensable qu'un gilet-jaune s'offre une chambre pour rester le soir à Paris! Trop cher... Impensable... Impossible... Inconcevable... Si l'on veut s'offrir une bière dans la capitale avec son sandwich, tout dépend du quartier, mais il est certain que la commande fera un trou dans le budget. Quand on manque d'argent pour vivre, on ne peut distraire cinq fois de suite un budget qui se compte en une vingtaine d'euros pour un samedi ou en centaine d'euros pour cinq samedis. Un gilet-jaune est à cinq euros près. 

    Quel journaliste le dira? Quel éditorialiste spécialisé en économie sur une chaine d'information continue diligentera un sujet qui permettrait de chiffrer la journée d'un gilet-jaune qui a décidé de venir du Finistère ou du Bas Rhin, des Pyrénées Orientales ou de l'Hérault pour manifester à Paris? Lequel donnerait en même temps le salaire des journalistes vedettes de sa chaîne? Ou le sien?

   Macron qui fut banquier à la banque Rothschild sait que les pauvres ne peuvent venir indéfiniment à Paris avec leurs salaires de misère. Pour l'heure, il s'essaie à tout :la calomnie et l'insulte, le mépris et la criminalisation, la culpabilisation et l'essoufflement, l'enfumage et le pourrissement. Avec lui, les journalistes sont au taquet.

  A Paris, au palais de l'Élysée et dans les rédactions des journaux maastrichtiens, on regarde les provinciaux souffrir et mourir comme un sadique observe dans le terrarium le serpent constrictor qui étouffe sa victime: il sait que le lapin va crever, c'est écrit... C'est un spectacle digne des empereurs romains de la décadence. Mais il peut aussi donner envie de vomir à qui dispose encore d'humanité. Vomir ou continuer ailleurs qu'à Paris.

   Les gilets-jaunes sont un mouvement girondin et provincial, régional et rural: aller à Paris, c'était faire le jeu du jacobinisme. Il était tentant d'exprimer sa colère dans la capitale, d'aller faire entendre ses slogans et ses revendications sous le balcon d'un roi retranché dans ses appartements. La chose a eu lieu; c'est bon.

   Mais il s'agit maintenant de continuer ailleurs que sur le terrain de l'adversaire qui dispose de tous ses moyens dans la capitale, chez lui -il y a ses blindés et ses journalistes, ses médias et ses escadrons, ses provocateurs et ses casseurs faciles à instrumentaliser.

   Dans Paris, le mouvement des gilets-jaunes est médiatiquement saisissable, donc politiquement maîtrisable, en même temps que politiquement saisissable, donc médiatiquement maîtrisable. Partout ailleurs qu'à Paris, il devient insaisissable. En se faisant girondin et non jacobin, il devient plus fort. S'il n'a qu'une seule tête il est facile à décapiter, s'il en a des milliers, il est une nouvelle Hydre de Lerne dont seul un Hercule pourrait avoir raison. Or celui qui se veut Jupiter n'a rien d'un Hercule: sa statue ne tient que parce que les gilets-jaunes la portent encore...

Michel Onfray
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[1]
https://www.marianne.net/societe/que-se-cache-t-il-vraime...

 

[2]
https://www.ledauphine.com/france-monde/2018/04/17/les-salaires-indecents-des-animateurs-du-petit-ecran