NEUROLOGIE. Coup de bambou sur notre cerveau. Alors que l'on pensait que l'on fabriquait de nouveaux neurones jusqu'à la mort, une étude de l'Université de Californie de San Francisco (USCF), aux États-Unis, tend à démontrer le contraire ! Menée par l'équipe d'Arturo Alvarez Buylla, professeur au département de chirurgie neurologique de l'UCSF, et publiée dans Nature, l'étude montre qu'en étudiant des tissus cérébraux post mortem et postopératoires humains, on observe bien la présence de nouveaux neurones chez les fœtus, enfants et adolescents, mais pas chez les adultes. Voici le nouvel épisode d'une véritable saga scientifique, qui a débuté dans les années 1960.
Pour rappel, au XXe siècle, un vieux dogme énonçait que l’on naissait avec un stock de neurones donné qui ne faisait que décroître tout au long de la vie. Mais en 1965, Joseph Altman du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) découvre chez le rat adulte la naissance de nouvelles cellules nerveuses. Et ce, dans deux pouponnières à neurones, le système olfactif et le gyrus denté de l’hippocampe, une région impliquée dans l’apprentissage et la mémorisation. Les années suivantes, cette “neurogenèse” est également observée chez le canari et le poisson-zèbre.
À partir de 1998, le dogme est pulvérisé, quand s'accumulent les preuves d'une neurogenèse adulte chez les primates dont l'humain. Au printemps 1998, Elizabeth Gould de l’université Princeton (États-Unis) rapporte dans une étude la présence d’une neurogenèse dans l’hippocampe et les bulbes olfactifs de primates adultes (singes marmosets). En novembre de cette même année, le Suédois Peter Eriksson (Sahlgrenska University Hospital, Suède) et l’Américain Fred H. Gage (Salk Institute en Californie) trouvent, eux, de nouveaux neurones générés dans le gyrus denté de cerveaux adultes humains. Ils ont analysé pour cela des coupes de cerveaux post mortem de cinq patients à qui on avait injecté au préalable un produit de contraste qui révèle les cellules en division. “De nouveaux neurones sont générés à partir de progéniteurs cellulaires dans le gyrus denté des humains adultes ”, concluent alors les auteurs dans l'étude publiée dans Nature. “Nos résultats indiquent que l’hippocampe humain garde sa capacité à générer des neurones tout au long de la vie.”
700 nouveaux neurones par jour
En 2000, toujours selon Peter Eriksson et Fred Gage, ces nouveaux neurones sont générés dans le gyrus denté jusqu’à 72 ans. Mieux, en 2013, la neurogenèse humaine est comptabilisée. Chez les humains adultes, “700 nouveaux neurones sont ajoutés dans chaque hippocampe par jour, ce qui correspond à un renouvellement annuel de 1,75% des neurones dans la fraction renouvelable, avec une légère diminution au cours du vieillissement”, concluent Kirsty Spalding, Olaf Bergmann et Jonas Frisen de l’Institut Karolinska (Suède). Pour cela les chercheurs ont utilisé une méthode innovante de marquage à base de carbone 14.
Cinq ans plus tard l’équipe de l'UCSF écrit un nouveau chapitre de l’histoire. Elle a collecté des échantillons d'hippocampe post mortem et postopératoires (après chirurgie de l'épilepsie) de 59 personnes — du fœtus à 14 semaines de gestation à l’adulte de 77 ans. Puis les échantillons ont été traités avec des marqueurs classiques dits à anticorps, Ki-67+, SOX1+, SOX2+, DCX+PSA-NCAM+, chargés de révéler les cellules progénitrices neuronales (futurs neurones) et les jeunes neurones.
2 neurones au millimètre carré à 13 ans
Et là, patatras : chez l'adulte, les échantillons marqués ne présentent pas de cellules progénitrices ou jeunes neurones dans le gyrus denté de l'hippocampe — précédemment signalé comme étant le siège de la neurogenèse adulte. Plus précisément, la densité des jeunes neurones est d'environ 1618 neurones par millimètre carré à la naissance, puis plus qu'environ 12 par millimètre carré à l'âge de 7 ans, enfin réduit à 2 par millimètre carré à 13 ans. On ne trouve pas trace de jeunes neurones dans les échantillons d'individus de plus de 18 ans. En outre, sur les échantillons prélevés chez des patients épileptiques, des progéniteurs de neurones existent chez un nourrisson de 10 mois, mais pas chez un enfant de 11 ans. Le bébé a également de nombreux jeunes neurones, mais un enfant de 7 ans atteint d'épilepsie en a très peu et aucune des 13 personnes de plus de 11 ans n'a de nouvelles cellules cérébrales, rapportent les chercheurs.
Ces résultats corroborent ceux d’une précédente étude publiée en 2016 par Greg Sutherland de l’université de Sydney (Australie) ayant montré un résultat similaire sur des tissus humains de 23 patients décédés, de la naissance à 59 ans. Elle concluait à un déclin marqué de la neurogenèse avec l'âge.
Conclusion des auteurs de l'UCSF dans Nature : “Le recrutement de jeunes neurones vers l'hippocampe du primate diminue rapidement au cours de premières années de la vie, et la neurogenèse dans le gyrus denté ne se poursuit pas, ou est extrêmement rare, chez l'homme adulte. Le déclin précoce de la neurogenèse hippocampique soulève des questions sur la façon dont la fonction du gyrus denté diffère entre les humains et les autres espèces dans lesquelles la neurogenèse de l'hippocampe adulte est préservée.”
Comment va réagir l’aréopage de chercheurs renommés qui ont fait ces découvertes cruciales depuis vingt ans ? "Les résultats soulignent notre besoin de nouveaux et meilleurs outils pour étudier la neurogenèse adulte afin de s'assurer que nous utilisons les bons marqueurs, a pour sa part commenté Fred Gage au magazine The Scientist. Le document, note-t-il, révèle des lacunes dans la compréhension de la neurogenèse par les chercheurs, que d'autres études combleront."
Des chercheurs prudents face aux conclusions de l'étude
À l'Institut Pasteur, à Paris, dans le laboratoire Mémoire et Perception de Pierre-Marie Lledo, grand spécialiste de la neurogenèse, on salue la qualité de l'étude de l'UCSF mais on reste extrêmement prudent quant aux conclusions. "Il faut à présent faire un travail d'analyse approfondi de ces résultats pour comprendre pourquoi ils contredisent totalement les résultats précédents, notamment ceux de l'équipe suédoise de Jonas Frisen (Institut Karolinska), estime Mariana Alonso de l'Institut Pasteur. Cela soulève des questions techniques (la pertinence des marqueurs) et d'échantillonnage (quels sont les cerveaux étudiés). Et on ne peut aussi exclure encore la possibilité que les jeunes neurones ne répondent pas de la même façon aux marqueurs utilisés, chez l'adulte et chez l'enfant." La chercheuse reconnaît cependant un point crucial : “L'intérêt de cette étude est de montrer que la neurogenèse adulte humaine n'a pas la même ampleur que chez la souris, et sur ce point on est tous d'accord.”
Est-ce la fin des espoirs de thérapies futures qui utiliseraient la capacité de produire des nouveaux neurones du cerveau pour réparer des lésions ? “Je ne le crois pas, poursuit Mariana Alonso. In vitro, il a été prouvé que certains tissus cérébraux possédaient des cellules souches capables de produire de nouveaux neurones. Peut-être qu'en temps normal, chez un individu sain, elles sont en dormance, mais on pourrait toujours chercher à les "réveiller" pour les utiliser dans un but thérapeutique". Pour la chercheuse, la messe est loin d'être dite. "Une grande discussion scientifique ne fait que commencer .”
***
Affaire à suivre...
Les commentaires sont fermés.