Quand l’improbable surgit, un autre futur revient dans la partie
11/12/2020
Non, le temps n’est pas linéaire, et l’histoire se construit d’abord à travers des chocs imprévisibles. Mais les germes d’un futur souhaitable sont déjà là, et c’est à nous d’apprendre à les repérer et les faire grandir, nous dit dans cette tribune Yannick Roudaut, auteur du livre Quand l’improbable surgit, un autre futur revient dans la partie (La Mer Salée, 2020).
Par Yannick Roudaut sur le site Usbek & Rica
- 7 décembre 2020
Depuis au moins trente ans, l’humanité tente de lutter contre l’emballement climatique, la destruction du vivant et autres périls écologiques, tout en maintenant à bout de bras une économie shootée aux énergies fossiles qui repose sur la destruction du vivant. Cette équation est insoluble. La raison voudrait donc que nous changions radicalement et rapidement de comportements économiques pour éviter le collapsus.
Si nous étions aussi sages et rationnels que nous le pensons, puisque nous nous sommes auto-baptisés sapiens sapiens, nous stopperions immédiatement la machine économique pour sauver notre peau ! Mais nous ne le ferons pas. Dans l’histoire de l’humanité, aucune civilisation ne s’est auto-dissoute volontairement. Pis, chacune a l’arrogance de penser que cette fois-ci elle ne disparaîtra pas. Pourtant elles disparaissent bel et bien. Mais aucune ne s’est écroulée parce que ses dirigeants l’avaient décidé. Se pose alors la question suivante : « Oui mais comment arrêter cette machine économique destructrice soutenue à bout de bras par quantité de lobbies cyniques ? ». C’est là que l’improbable surgit : les civilisations, les mondes, changent à l’aune de chocs inattendus.
Le Covid-19 surgit… et l’impensable est décidé
Au-delà des souffrances humaines et sociales à court terme, le choc de la pandémie mondiale nous a fait bifurquer, dévier de la trajectoire économique linéaire. Le surgissement de cette pandémie nous a contraint à mettre un grand coup de frein, inconcevable encore quelques semaines auparavant. Qui aurait imaginé des avions cloués au sol, des géants du textile en difficulté, des bateaux de croisière à quai, des producteurs de pétrole et de gaz de schiste en difficulté ? C’est une première étape. Une première marche. Un premier coup de volant dans la trajectoire.
L’Histoire n’est qu’une succession d’évènements inattendus. Si elle s’écrit toujours a posteriori comme une évidence, elle se construit au gré des improbables.
Évidemment l’ancien monde s’accroche, il n’a pas encore cédé. Il nous faudra donc encore quelques années pour que la structure du monde d’après commence à nous apparaître. Cette nouvelle trajectoire se densifiera à mesure que des chocs improbables se manifesteront. L’Histoire n’est d’ailleurs qu’une succession d’évènements inattendus. Si elle s’écrit toujours a posteriori comme une évidence, elle se construit au gré des improbables.
Le clair-obscur, passage obligé
La décennie 2020–2030 sera claire-obscure. Le sublime côtoiera le tragique. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce fut le cas durant la Renaissance. On oublie que les guerres de religions et la Joconde sont contemporaines l’une de l’autre. La fin d’un monde, l’émergence d’un autre, sont toujours à la fois douloureuses et enthousiasmantes. Mais au bout de ce tunnel, un autre futur nous attend, telle une petite lucarne qui nous ouvre un cône de lumière. La lucidité nous éclaire, elle nous permet de fendre l’obscurité, de la traverser, mais elle ne nous dit rien des lendemains. La lucidité c’est d’accepter qu’il y aura des improbables.
Cet autre futur qui pointe est donc difficile à percevoir, à imaginer. Les contemporains d’un monde sont toujours dans l’incapacité de projeter le monde en devenir, car personne ne sait quel improbable surgira. Comment percevoir, comment imaginer la révolution industrielle à venir au XVe siècle ? Ou la Révolution française en 1782 ?
Depuis le surgissement du Covid-19, nous venons de sauver trois balles de match, et nous remontons au score. La partie est certes serrée, mais nous pouvons gagner.
Bonne nouvelle, ce futur lumineux est déjà en partie déployé. Mais il n’est pas figé. Il nous attend dans une dimension imperceptible à nos cinq sens. Si l’on se réfère aux derniers travaux de physiciens comme Carlo Rovelli ou Philippe Guillemant, le temps ne serait pas linéaire. Nietzsche et Einstein l’affirmaient déjà : le futur agit sur le présent, et le présent sur le futur. Ce futur souhaitable, celui d’une humanité ayant trouvé le chemin de la réconciliation avec la nature, serait en partie déployé. Quelque part. Nous en percevons parfois des signes, qui nous guident. Ce sont les fameuses synchronicités. Nos actions, nos intentions, permettraient à ce futur latent de s’imposer dans notre réalité.
Il y a encore quelques mois, le match était presque perdu. Comme au tennis, ce futur improbable était mené 5 à 0 dans le 5e set par l’autre futur, celui de la fuite en avant numérique, croissante et mortifère. Depuis le surgissement du Covid-19, nous venons de sauver trois balles de match, et nous remontons au score. La partie est serrée, certes, mais nous pouvons gagner. Point après point, balle après balle. Improbable, me répondrez-vous ? Le probable, c’est la projection linéaire d’une économie destructrice. Nous en connaissons l’issue. L’improbable nous offre la possibilité de bifurquer et d’éviter l’impasse tragique. En outre, si le probable se réalise rarement, l’improbable, lui, surgit souvent. Quel pari voulez-vous prendre ?
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