Sur la route...
23/07/2017
Une fille dans le vent.
Quatre décennies après un tour du monde à moto en solo, Anne-France Dautheville, devenue égérie de mode, voit le récit de ce périple réédité. Rencontre.
Par Baudouin Eschapasse
Publié le 23/07/2017 à 09:19 | Le Point.fr
Il y a tout juste 45 ans, Anne-France Dautheville partait sur les pistes de l'Est... à moto. Seule femme entourée de plus de 90 motards à participer au raid Orion, elle « traçait » la route dans le sillage des personnages d'Easy Rider, sorti en 1969 sur grand écran. Son objectif, à l'époque ? Atteindre Ispahan, l'ancienne capitale de l'Empire perse au XVIe siècle.
Cette jeune fille de « bonne famille » (elle a grandi rue Lauriston, dans le 16e arrondissement de Paris et fait sa scolarité au lycée La Fontaine) pilote alors une grosse 750 Guzzi. Arrivée en Iran, elle décide, sur un coup de tête, de poursuivre la route jusqu'en Afghanistan puis au Pakistan. À son retour, à l'automne, elle se met à écrire un livre de souvenirs contant ses péripéties. Une demoiselle sur une moto, paraît en janvier 1973 chez Flammarion. Cet ouvrage donnera envie de prendre le large à toute une génération.
Se doutait-elle en achetant son premier deux-roues, en septembre 1968, dans une petite échoppe de la rue Montmartre, que ce petit 50 cm3 la ferait à ce point sortir d'un chemin tout tracé ? « Je réalise aujourd'hui seulement à quel point la moto m'a fait échapper à un destin prédéterminé », confie-t-elle. Anne-France Dautheville n'a pas participé aux événements de Mai 68 ; cette année n'en bouleverse pas moins sa vie. Un voyage sur la Côte d'Azur, cheveux aux vents, lui donne le goût des chevauchées motorisées. Elle qui, à Paris, travaille pour des agences de publicité (Walter-Tompson puis Havas) se rend compte qu'elle n'est pas faite pour vivre en sédentaire.
Circum-déambulation
« Moi qui avais reçu une éducation stricte, digne du XIXe siècle, les voyages m'ont ouvert l'horizon. J'en suis revenue complètement transformée », émet-elle. Comment reprendre une vie étriquée après avoir pris goût au grand large ? La jeune femme, ancienne étudiante en lettres à la Sorbonne, ne se voit pas retourner au bureau. Son existence d'avant, faite de « métro-boulot-dodo », lui semble bien fade. Elle rend les clefs de son appartement de location à Boulogne-Billancourt et entame, en guise de défi, un tour du monde en solo à bord d'une petite Kawasaki « tout juste bonne à faire l'aller-retour entre mon domicile et les Champs-Élysées », plaisante-t-elle aujourd'hui.
Le voyage est mouvementé. Anne-France Dautheville s'attelle, à son retour, à l'écriture d'un deuxième livre. Sorti en 1975, cet ouvrage, intitulé Et j'ai suivi le vent, reparaît aujourd'hui à la petite bibliothèque Payot Voyageurs. Elle y décrit les tribulations qu'elle vient de vivre du Canada à l'Alaska, elle y raconte aussi sa découverte du Japon et de l'Inde. Elle se rit rétrospectivement des soucis mécaniques qui se sont enchaînés pendant son voyage, mais mesure qu'ils étaient peut-être une bénédiction : « L'occasion en tout cas de belles rencontres avec de bonnes âmes toujours prêtes à me porter secours quand j'étais difficulté. Si je ne devais retenir qu'une chose de cette histoire, ce serait la bienveillance dont m'ont entouré ces inconnus », émet-elle. À New Delhi, elle retrouve un ami : Emmanuel de Nicolay, qui effectuera, quelques années plus tard, une « promenade » de 35 000 kilomètres entre Paris et Le Cap. En attendant, Anne-France est déjà repartie en direction de l'Afghanistan.
Ce pays ne ressemble pas à celui qu'elle a visité un an auparavant. En quelques mois, le pays a bien changé. Impossible de retrouver le nectar de cerise qui avait fait ses délices lors de son premier séjour. L'alcool est désormais prohibé. Un coup d'État, fomenté par Mohammad Daoud Khan, a renversé le roi Zaher Shah, le 17 juillet 1973. L'ambiance est lourde à Kaboul. La jeune femme prend la poudre d'escampette pour rejoindre Bâmyân. Elle dormira au sommet de ses grands Bouddhas de pierre que les talibans ont réduits en poussière en 2001.
Une vie... sur la route
La route du retour ressemble à un chemin de croix. Traversant l'Iran, la Turquie puis la Bulgarie, Anne-France Dautheville retrouve Paris en novembre 1973, quatre mois après en être partie. Mais revient-on jamais d'un tel périple ? La jeune femme n'aura de cesse que de repartir. Elle largue régulièrement les amarres pour sillonner l'Asie, l'Afrique, l'Australie ou encore l'Amérique du Sud. « Quand je repense à ces années, je me dis que je me suis amusée comme une folle », résume-t-elle dans un grand rire.
Entre deux périples, elle campe chez des amis. Quand elle a besoin de gagner un peu d'argent, elle propose un reportage à un journal ou écrit un livre : alternant romans, ouvrages de jardinage et dictionnaires sur les plantes, son autre grande passion. Un jardin secret qu'elle cultive avec soin dans sa maison de Brie où elle a trouvé refuge, après trente années d'errance.
Un grave accident de voiture, survenu il y a cinq ans, la contraint de fait à l'immobilité ou plutôt à « un grand voyage intérieur ». Cette mésaventure n'entame pas son enthousiasme. « Au contraire, cette expérience m'a conduite à rassembler les pièces de puzzle de mon existence et à prendre conscience de la chance extraordinaire qui m'avait accompagnée pendant toutes des années. » Deux ans plus tard, la créatrice Clare Waight Keller la contacte pour lui proposer de devenir l'égérie de la collection hiver 2016-2017 de la maison Chloé. « La figure de bikeuse, incarnée par Anne-France, est très inspirante pour ma génération. L'esprit de liberté qu'elle insuffle à travers ses récits est dynamisant », explique alors la designeuse britannique, depuis passée chez Givenchy.
Et j'ai suivi le vent, Anne-France Dautheville, petite bibliothèque Payot Voyageurs, 363 pages, 8,9 €
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